LE SOUS-EMPLOI ET LA DEMANDE CHEZ JOHN MAYNARD KEYNES.
1° LA BIOGRAPHIE DE J.M.KEYNES.
John Maynard Keynes est né en 1883 à Cambridge. Son père fut professeur d’économie politique, et sa mère, Florence Ada, l’une des premières femmes diplômées de Newham College ; elle sera élue maire de Cambridge en 1932.
Après de brillantes études à l’aristocratique école d’Eton, il entre au King’s college de Cambridge.
Outre les mathématiques, il suit des cours des économistes les plus éminents de l’époque comme Alfred Marshall ou Sir Arthur Cecil Pigou.
Devenu assistant de ce dernier en 1908, il publie en 1912, son premier ouvrage(Indian currency and finance).
En 1909, il soutient sa thèse et devient en 1911 rédacteur en chef de l’economic journal.
Keynes, esprit éclectique, se passionne pour les arts et la littérature, il épouse d’ailleurs en 1925 la danseuse russe Lydia Lopokova.
Pendant la première guerre mondiale, il est haut fonctionnaire aux finances où il est responsable des relations financières internationales, partie prenante à la préparation du traité de Versailles après la guerre, il s’oppose aux réparations imposées à l’Allemagne, dont il prévoit qu’elle porte en germe le retour de nouveaux conflits.
Peu écouté, il démissionne et publie les « conséquences économiques de la paix » en 1919.
Professeur à Oxford en 1924, il s’illustre dans le combat contre l’orthodoxie des politiques budgétaires et publie en 1930 son premier grand ouvrage théorique « le traité de la monnaie », qui préfigure son ouvrage majeur « la théorie générale de l’emploi, de l’intérêt de la monnaie » en 1936.
Le retentissement de la Théorie Générale est tel qu’elle vaut à Keynes d’être nommé conseiller financier de la Couronne et directeur de la banque d’Angleterre.
Il participe aux travaux préparatoires du rapport sur la sécurité sociale, le fameux rapport Beveridge.
En 1937, sa mauvaise santé freine ses activités, ce qui ne l’empêchera pas de devenir Lord en 1941 et de préparer avec l’américain H.D.White l’organisation de la conférence de Bretton Woods qui en juillet 1944, a pour objet de mettre en place un nouveau système monétaire international, succédant à l’ancien étalon-or.
Il ne parvient pas à faire triompher son projet d’une banque mondiale contrôlant l’ensemble des liquidités et gardienne d’une monnaie mondiale : le Bancor.
C’est le projet américain d’un système articulé autour du dollar qui l’emporte, les américains soucieux d’asseoir l’hégémonie du dollar.
Epuisé, il meurt en 1946 d’une crise cardiaque.
2° LA PLACE DE KEYNES DANS L’HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE.
Au début du 20ème siècle, la science économique anglaise rayonne au niveau mondial. Héritière des glorieux ancêtres « classiques » comme Smith, Ricardo et John Stuart Mill, elle vient de jeter les bases formalisées de la science économique moderne dans une démarche essentiellement microéconomique : le marché comme mode de régulation « naturel », la recherche individuelle du profit ( pour l’entreprise ou le détenteur du capital) ou de la maximisation des satisfactions individuelles ( pour le consommateur ).
A.Marshall ou A.C.Pigou, dont Keynes a été l’élève, règnent de manière incontestée, depuis le King’s College de Cambridge, sur la science économique.
Ces économistes soutiennent qu’une crise majeure et durable du système économique est impensable, et qu’en tout état de cause les crises temporaires qui peuvent se produire plus ou moins régulièrement doivent se résorber toutes seules par les seuls mécanismes autorégulateurs du marché.
Comment alors expliquer le chômage important que connaît le Royaume-Uni depuis les années 1920, et surtout la durée et l’ampleur exceptionnelle de la crise des années 1930 ?
Après la première guerre mondiale, Keynes avait déjà pris conscience des dangers que comportait en matière économique et géostratégique, une approche des problèmes limitée à une vision en terme de maintien ou de rétablissement des équilibres.
Il avait désapprouvé la politique de Winston Churchill, de retour à la parité or de la livre Sterling, ainsi que les réparations imposées à l’Allemagne, qu’il jugeait excessives et porteuses de conflits à venir.
Le diagnostic qu’il portera sur la dépression des années 1930, ainsi que les propositions qu’il formulera, traduisent un changement radical d’approche et une capacité révolutionnaire à penser l’économie de manière globale, ouvrant la voie à l’approche de la macroéconomie et légitimant désormais les politiques économiques, qui s’épanouiront après la seconde guerre mondiale.
3°LES GRANDES LIGNES DE LA PENSEE DE KEYNES.
J.M.Keynes est considéré comme le fondateur de l’analyse macroéconomique.
Selon lui, le niveau de la production s’ajuste à celui de la demande. Cette dernière est composée de la consommation (qui résulte principalement du revenu) et de l’investissement (qui résulte principalement des taux d’intérêt).
Le niveau de l’emploi dépend du niveau de la production. Il existe donc qu’un seul niveau de production qui permette d’assurer le plein emploi. Le problème est que le niveau de production d’équilibre coïncide rarement avec le niveau de production de plein emploi.
Le rôle de l’Etat est alors d’assurer le plein emploi.
- Pour les néoclassiques le chômage est forcément volontaire
Les néoclassiques refusent toute spécificité au marché du travail. Sur ce marché comme les autres se confrontent une offre et une demande qui sont respectivement une fonction croissante et une fonction décroissante du salaire réel.
L’offre de travail provient des ménages qui comparent l’utilité apportée par le loisir (c'est-à-dire le non-travail) et l’utilité apportée par le salaire (qui permet de consommer). Plus le salaire est élevé, plus il compense la perte de loisir et donc plus l’offre de travail est forte. La demande de travail provient des entreprises qui comparent le salaire (c'est-à-dire le coût du travail) et la productivité des salariés. Les néoclassiques postulent que la productivité marginale est décroissante, c'est-à-dire que chaque nouveau salarié embauché a une productivité inférieure au précédent. L’intérêt de l’entreprise est alors d’embaucher tant que le salaire est supérieur à la productivité marginale du travail ; une hausse du salaire permet donc d’embaucher davantage. Puisque le comportement rationnel de l’entrepreneur tend à égaliser la productivité marginale et le salaire, la demande de travail est une fonction décroissante du salaire. Lorsque le marché fonctionne convenablement, le salaire est parfaitement flexible et permet d’égaliser l’offre et la demande de travail. Tous ceux qui souhaitent être embauchés au salaire d’équilibre peuvent l’être. L’économie est donc en situation de plein emploi. La théorie néoclassique du marché du travail, reprise notamment par A.C. Pigou dans The Theory of unemployment, stipule donc que le chômage est forcément volontaire.
- Pour John Maynard KEYNES, le chômage peut être involontaire.
Keynes assiste à une manifestation de chômeurs aux Etats-Unis en 1932 ; les chômeurs ont manifestement besoin de trouver un emploi ; comment peut on affirmer alors que le travail est forcément volontaire ?
La conception néoclassique du marché du travail doit être réfutée car les salariés sont victimes de l’illusion monétaire ; ils n’ajustent pas leur comportement aux variations du salaire réel comme l’affirment les néoclassiques, mais aux variations du salaire nominal. L’équilibre potentiel existe, mais il n’y a aucune raison pour que les seules forces du marché y parviennent puisque offre et demande de travail résultent de variables différentes (salaire nominal pour l’offre de travail et salaire réel pour la demande de travail).
Selon Keynes, le niveau de l’emploi résulte de mécanismes macroéconomiques et non de mécanismes microéconomiques. Le niveau de l’emploi n’est pas fixé sur le marché du travail, mais il résulte directement du niveau global de la production qui lui-même résulte du niveau de la demande effective.
Ces dernières n’embauchent que si elles peuvent produire et ne produisent que si elles peuvent vendre.
Le chômage qui résulte de la différence entre le niveau de l’emploi et l’effectif de la population active peut donc être involontaire. Pour Keynes, une situation « d’équilibre de sous-emploi » est donc possible ; il n’est pas nécessaire que l’économie soit en crise et de connaître un déséquilibre sur le marché des biens et des services et être en situation de sous-emploi.
- Le principe de la demande effective
L’offre ne crée pas la demande. Un postulat de l’analyse classique, développé par Jean-Baptiste SAY, affirme que l’offre crée sa propre demande. Ce qui suppose que, la production induisant une demande équivalente, l’épargne est égale à l’investissement et que l’action de la monnaie n’a pas d’importance véritable. En revanche, pour Keynes, la monnaie joue un rôle central dans l’équilibre économique et toute épargne est un manque à gagner pour la consommation.
La demande effective, qui englobe la consommation et l’investissement, est le moteur de l’économie.
Le niveau de la consommation résulte du revenu distribué et de la propension à consommer. Le principal déterminant de la propension à consommer est le revenu. Keynes annonce ce qu’il appelle « la loi psychologique fondamentale » : « En moyenne et la plupart du temps les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que le revenu croît, mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu ». Autrement dit, lorsque le revenu augmente, la consommation augmente aussi, mais la propension à consommer diminue. Les autres déterminants sont ceux qui incitent les agents économiques à épargner plutôt qu’à consommer (se constituer une réserve pour des risques éventuels ou prévisibles, léguer une fortune, faire preuve d’avarice…).
L’investissement dépend du taux d’intérêt et de l’efficacité marginale du capital. Les entreprises investissent tant que l’efficacité marginale du capital est supérieure aux taux d’intérêt. L’efficacité marginale du capital est le rendement escompté de l’investissement et le taux d’intérêt résulte de la confrontation entre l’offre et la demande de monnaie. Keynes s’oppose donc aux néoclassiques sur bien des points :
- Le niveau de l’emploi ne se fixe pas sur le marché du travail et ne résulte donc pas directement du salaire ; c’est au contraire le salaire qui résulte du niveau de l’emploi.
- La demande ne procède pas de l’offre, mais c’est l’offre qui procède de la demande.
- La monnaie n’est pas neutre car une variation de la quantité de monnaie en circulation peut jouer sur l’économie réelle par le biais du taux d’intérêt.
- Les interventions de l’Etat sur la demande effective.
Keynes pense que l’Etat doit soutenir la demande effective pour assurer le plein emploi. La politique principale sur laquelle Keynes met l’accent est la politique monétaire. Il faut créer de la monnaie afin de faire baisser les taux d’intérêts et encourager l’investissement. Une politique de taux d’intérêt faible est donc toujours recommandée tant que le plein emploi n’est pas atteint.
Keynes préconise une « socialisation de l’investissement ». L’Etat doit favoriser l’investissement, en diminuant les taux d’intérêts pour favoriser l’investissement privé, ou bien en investissant lui-même, éventuellement grâce au déficit budgétaire. Keynes pense que des grands travaux, en fournissant du travail et en distribuant des revenus sont des sources de richesse.
Une politique favorisant la consommation peut être favorable au plein emploi. Pour cela, il faut mettre en œuvre une politique de redistribution qui permettrait d’augmenter la propension à consommer et donc la demande effective.
4- ACTUALITE DE LA PENSEE DE KEYNES ET PROLONGEMENTS
- L’actualité du débat sur les causes du chômage
Le salaire est à la fois un revenu qui agit sur la demande effective et un coût qui pèse sur les entreprises.
Selon la théorie libérale, le coût élevé de la main d’œuvre est la cause principale du chômage. Le niveau trop élevé des salaires réduirait la demande de travail et accroîtrait l’offre, entraînant du chômage. Un politique de lutte contre le chômage passe donc passe donc par la diminution des rémunérations et des charges sociales pour que les entreprises embauchent davantage.
Dans une conception keynésienne, le niveau de l’emploi est lié au niveau de la production ; les périodes de croissance sont donc des périodes de création d’emploi, alors que l crise, le ralentissement de la croissance et encore plus la baisse de la production seraient facteurs de chômage. Les périodes de crise sont effectivement des périodes de chômage important ; ce fut le cas pendant la crise des années 1930, c’est le cas de la crise actuelle. Au contraire, la période de croissance des Trent Glorieuses fut une période de relatif plein emploi.
- Les prolongements de la théorie keynésienne
Les théoriciens du déséquilibre, dont Edmond MALINVAUD (1923-), tentent une intégration entre les théories néoclassique et keynésienne du chômage. Ils considèrent que les déséquilibres proviennent de la rigidité à court terme des prix qui entravent l’offre et la demande. E. Malinvaud distingue deux types de chômage qui requièrent des politiques différentes : le chômage keynésien se caractérise par une offre supérieure à la demande sur le marché des biens et des services et sur le marché du travail et nécessite une politique de relance de type keynésien ; le chômage classique provient d’un coût trop élevé de la main d’œuvre et nécessite une politique de réduction des coûts salariaux.
A la fin des années 1970, le chômage classique dominait, alors qu’en Europe, le chômage est, depuis le début des années 1990, surtout de type keynésien.
Les nouveaux économistes keynésiens pensent (contrairement à Keynes) que l’emploi est fixé sur le marché du travail, mais ils pensent (comme Keynes) que le chômage peut être involontaire ; en effet, le marché du travail peut être en déséquilibre :
- Les salaires ne sont pas négociés au jour le jour en fonction du marché, mais ils le sont pour une période déterminée. Ainsi, des contrats de travail signés pour un laps de temps créent des rigidités importantes.
- La théorie des contrats implicites explique que les salariés attendent de l’entreprise qu’elle joue un rôle d’assurance et ils acceptent des salaires inférieurs au salaire d’équilibre en échange de la garantie d’une stabilité de celui-ci.
- Les théories du salaire d’efficience montrent que l’entreprise peut avoir intérêt à offrir des salaires plus élevés que ceux du marché afin :
Ø De diminuer le turn-over ;
Ø De motiver les salariés qui, par reconnaissance envers l’entreprise, sont plus productifs ;
Ø Que les salariés hésitent à « tirer au flanc » par peur de perdre un salaire élevé en cas de licenciement ;
Ø D’attirer les salariés les plus qualifiés.
- La théorie « insiders/outsiders » affirme que les salariés en place dans l’entreprise, connaissant les coûts du turn-over, peuvent exiger des salaires plus élevés que ceux du marché.
Les prolongements de l’œuvre de Keynes sont aussi anti-keynésiens.
Ainsi certains comme Pigou vont montrer que la baisse des salaires en entraînant une baisse des prix encourage la désépargne et stimule la consommation.
D’autres comme M.Friedman vont montrer que les politiques keynésiennes sont non seulement inefficaces (car sans effet sur le chômage naturel et anticipées par les agents), mais en plus génératrices d’inflation.
D’autres enfin, vont insister sur les effets désincitatifs sur l’offre (chômage volontaire et trappes à la pauvreté) et sur la demande de travail (courbe de Laffer) des politiques de protection sociales des chômeurs.