LA RATIONNALISATION DES ACTIVITES CHEZ MAX WEBER
1° QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES DE M.WEBER.
Max Weber est né à Erfurt en Prusse le 21 avril 1864. Sa famille, des industriels protestants prospères, côtoie de nombreux intellectuels et hommes politiques ( son père est député a la chambre prussienne puis au Reichstag ). En 1862, il obtient l’équivalent du baccalauréat et fait ensuite de brillantes études dans des domaines variés comme le droit, l’économie politique, philosophie, histoire et théologie dans plusieurs universités allemandes.
En 1889, il soutient sa thèse de doctorat en droit, en 1891, une thèse d’histoire économique, puis, il obtient un poste d’enseignant à la faculté de Berlin.
Il sera ensuite nommé en 1894, sur une chaire d’économie politique à Fribourg et en 1896, à Heidleberg.
Après une interruption due à la maladie, il reprend une activité réduite d’enseignant en 1902, puis il démissionne de l’enseignement et effectue plusieurs voyages à l’étranger ( Etats-Unis notamment où il est frappé par l’importance des sectes protestantes )
C’est au cours de cette période qu’il va s’orienter vers la réflexion sociologique.
En 1904 et 1905, il publie d’abord sous forme d’articles, « l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme ».
En 1908, il crée avec F.Tönnies et G.Simmel la société allemande de sociologie, dont il démissionnera en 1912.
Il rédige de nombreux articles et travaille à son ouvrage majeur qui fera l’objet d’une publication posthume « Economie et Société » ( 1922 ).
En 1919, il retourne brièvement à l’enseignement,il écrit « la savant et le politique » puis meurt en 1920.
Au cours de cette dernière période de son existence, Max Weber, occupe des responsabilités politiques. Il milite pour la grandeur du Reich et son expansion internationale, dont il pense qu’elle doit être assurée par une bureaucratie et non par une bourgeoisie nationale qui serait moins efficace.
2° LA PLACE DE MAX WEBER DANS LA PENSEE SOCIOLOGIQUE.
La Prusse, puis le nouveau Reich allemand, sont au moment où écrit Max Weber en pleine période d’industrialisation.
Comme en Grande-Bretagne et en France, la révolution industrielle bouleverse les activités économiques, les structures et les relations sociales. On assiste à une rapide transformation des activités économiques avec l’industrialisation de la Ruhr, de la Saxe, de la Silésie et de Berlin.
On comprend mieux dans un tel contexte l’intérêt de Max Weber, comme Tocqueville, Durkheim et Marx, pour l’analyse de la modernité.
Pour lui,, c’est la montée de la rationalité qui est l’essence même de la modernité. Cette rationalité s’incarne dans de nouvelles organisations économiques ( la division du travail ou la bureaucratie ) et une nouvelle organisation des Etats ( sur la base de la compétence des dirigeants et non de l’héritage ).
Max Weber est le premier sociologue à avoir très clairement revendiqué la spécificité de la sociologie en tant que science de la culture par rapport aux sciences de la nature.
Avant lui, certains sociologues comme A.Comte par exemple avaient cherché à transposer aux sciences sociales les méthodes déjà éprouvées dans les sciences de la nature : faire des hypothèses, rassembler des données et vérifier les hypothèses.
Weber s’oppose à ce rapprochement : il soutient que les méthodes propres aux sciences de la nature ne peuvent s’appliquer aux sciences de la culture.
En effet, alors que les premières s’intéressent à un objet inanimé qui se prêtent à des expériences que l’on peut répéter en laboratoire, les secondes se focalisent sur les actions des individus en société.
Il est donc impossible de les répéter à l’identique dans des laboratoires et d’en tirer des lois statistiques immuables.
De cet « inconvénient », Weber en tire un « avantage », le sociologue comprend intuitivement les raisons qui ont poussé l’individu à agir. Il peut donc partir de l’action d’un individu, de ce qu’il a poussé à agir et doit chercher les conséquences de son action.
La sociologie consiste alors à expliquer un phénomène social, par exemple le capitalisme, comme la résultante d’actions ( ex : travailler, épargner, faire du profit…) motivées par un système de valeurs et de croyances ( ex : l’éthique protestante)
On dit de la sociologie de Max Weber est compréhensive et explicative.
Les tenants de « l’individualisme méthodologique » voient dans Max Weber un de leurs précurseurs, ils opposent à sa sociologie « individualiste », la sociologie de Marx ou de Durkheim qu’ils qualifient d’ « holiste » car elle explique les phénomènes sociaux par le fonctionnement d’un mode de production considéré comme une totalité.
3°LES GRANDES LIGNES DE LA PENSEE DE MAX WEBER.
Weber est le père fondateur d’une sociologie compréhensive et explicative, pour cela il utilise un outil intellectuel spécifique : l’idéal type.
Un type idéal est une construction théorique obtenue en accentuant les traits essentiels d’un phénomène social et en supprimant tout ce qui peut paraître accessoire :
Le but d’un idéal-type est de montrer la logique d’un comportement ou d’une réalité historique.
Les principaux concepts utilisés par Weber sont le capitalisme, l’esprit du capitalisme, l’éthique protestante, l’action rationnelle, la bureaucratie…sont des idéaux-types
RATIONALISATION ET DESENCHANTEMENT
Science de la culture, la sociologie doit donc étudier les actions des individus en société. Les actions sociales sont pour M.Weber des comportements volontaires dirigés vers autrui, ce que les sociologues ont ensuite appelé des interactions.
Ces actions sociales peuvent prendre quatre formes :
- Les actions affectives qui sont des réactions instinctives (ex : le meurtre passionnel)
- les actions traditionnelles qui sont des comportements guidés par la coutume ou une croyance de longue date comme le signe de croix pour le catholique
- Les actions rationnelles en valeur qui sont des actions fondées sur des valeurs et qui ne tiennent pas compte des avantages ou des inconvénients qu’elles peuvent procurer comme par exemple respecter la parole donnée
- Les actions rationnelles en finalité qui sont des actions motivées par un calcul coûts/avantages. Dans ce cas précis, l’individu se fixe un objectif et détermine les moyens les plus efficaces pour l’atteindre.
La rationalisation des activités sociales est l’élargissement du champ d’action de la rationalité en finalité au détriment de l’action traditionnelle. Cette rationalisation est particulièrement présente dans les domaines scientifique, technologique et économique.
Elle s’étend progressivement à l’ensemble des activités sociales sans pour autant devenir la seule forme d’action sociale.
La conséquence de cette rationalisation est le désenchantement du monde, à savoir la disparition de la magie, du surnaturel comme explication du Monde.
Peu à peu, la science remplace la religion sous ses différentes formes comme facteur explicatif des phénomènes dont les hommes sont les témoins. Ce processus est un facteur d’insatisfactions, d’une part, l’explication scientifique est toujours incomplète dans la mesure où toute découverte ouvre de nouvelles perspectives de recherches ; d’autre part, la science ne peut pas donner un sens à la vie en disant aux hommes comment ils doivent vivre, ce que font les religions.
LE CAPITALISME.
Le capitalisme est une première concrétisation de la rationalisation des activités sociales.
M.Weber le caractérise non comme l’appât du gain qui est une disposition banale mais comme l’organisation méthodique des facteurs de production dans le but de réaliser un profit au sein d’une entreprise destinée à durer.
L’activité de type capitaliste est favorisée par un état d’esprit qui consiste à utiliser des ressources (le temps, le capital, le travail) de la façon la plus efficace possible dans un but de rentabilité et d’accumulation.
Weber observe que le capitalisme s’est développé en priorité dans des pays marqués par le protestantisme et se demande si l’éthique protestante ne serait pas un des facteurs qui aurait favorisé le développement de l’esprit capitaliste.
L’éthique protestante repose sur une doctrine que Weber résume en cinq points :
- Il existe un Dieu transcendant qui gouverne le Monde
- Ce Dieu a prédestiné chacun au salut ou à la damnation
- Dieu a créé le Monde pour sa propre gloire
- L’homme doit travailler à la gloire de Dieu en développant les activités humaines dans la société :
- Les choses terrestres, en particulier le plaisir, appartiennent à l’ordre du péché.
Cette éthique aurait selon Weber, incité les protestants à adopter un comportement rationnel c’est à dire à ne pas perdre son temps à des activités futiles, il faut travailler et préférer l’épargne à la consommation car le plaisir est répréhensible.
Il y aurait donc une relation étroite entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, en effet le protestantisme a favorisé l’émergence du capitalisme.
LA BUREAUCRATIE.
La bureaucratie est une seconde concrétisation de la rationalisation des activités sociales. En effet, elle est l’expression de la domination rationnelle qui est une forme de domination dont la légitimité repose sur la loi.
Dans le cas d’une domination rationnelle, un individu obéit à un second car celui-ci a légalement le droit de lui donner un ordre spécifique : On parle de domination légale-rationnelle, celle-ci se distingue de la domination charismatique qui elle repose sur le charisme du dominant sur sa personnalité ( ex : Fidel Castro, Hitler…)
Il y a un troisième type de domination c’est la domination traditionnelle qui elle est fondée sur le respect de la tradition (ex : les rois de France)
La bureaucratie est un mode particulier d’organisation dont les principales caractéristiques sont les suivantes :
- Il existe une division du travail et une coopération permanente entre les individus qui occupe chacun une fonction
- Chaque fonction est occupée par une personne dont la compétence est reconnue
- Les fonctions sont impersonnelles
- Chaque fonction on associe une tache précise
- La bureaucratie a ses propres ressources et une rétribution est prévue pour chaque fonction
La forme la plus pure de la bureaucratie est bien sur l’administration mais Weber remarque que les grandes entreprises se rapprochent de ce modèle d’organisation.
Il juge cette évolution positive car il estime que cette forme d’organisation est plus efficace que celle qui prévalait auparavant et qui était fondée sur des relations inégalitaires et personnelles ( ex : le suzerain et son vassal/ un serf et son seigneur/un serviteur et son maître )
4° LES PROLONGEMENTS ET L’ACTUALITE DE MAX WEBER.
LES LIMITES DE LA RATIONALITE.
Incontestablement, la rationalisation des activités sociales est une des caractéristiques majeures des sociétés modernes.
Cela ne signifie pourtant pas que les comportements individuels soient rationnels au sens où l’entendent les économistes néoclassiques. Pour ces auteurs, les acteurs bénéficient d’une information parfaite et immédiate qui leur permet de prendre des décisions rationnelles.
Herbert A.Simon ( prix Nobel en 1940 a montré dès les années 1940 que la rationalité des acteurs au sein des organisations différait de celle du modèle des économistes néoclassiques, d’où le terme de rationalité limitée ) a montré que dans les organisations, les acteurs bénéficiait que d’une information imparfaite.
Soumis à de multiples contraintes, ils se contentent le plus souvent de prendre la première décision qui leur semble satisfaisante.
Dès lors, leur rationalité est limitée et leurs actions ne sont pas nécessairement optimales. Elles dépendent de la position des acteurs, des ressources dont ils disposent et des informations nécessairement tronquées dont ils bénéficient.
Cette rationalité limitée réduit l’efficacité supposée de la bureaucratie.
LES EFFETS PERVERS DE LA BUREAUCRATIE.
Il est évident que l’organisation bureaucratique est plus efficace et plus respectueuse de la liberté des individus que ceux qui l’ont précédée. En effet, le pouvoir des bureaucrates étant strictement réglementé, les membres de cette organisation ainsi que les individus qui ont affaire à elle sont, en principe, à l’abri d’un pouvoir excessif.
Fort de ce constat, Weber a sous-estimé les effets pervers engendrés par l’organisation bureaucratique.
Dans les entreprises, le Taylorisme illustre bien les limités de l’efficacité d’une organisation rigide.
Dans les administrations, le travail et le capital peuvent ne pas être utilisés de la façon la plus efficace possible.
Ces dysfonctionnements ont étudiés par le sociologue français Michel Crozier qui dans le cadre d’une analyse centrée sur la rationalité limitée d’individus cherchant à maximiser leur pouvoir.
Dans une bureaucratie, chacun cherche à accroître son pouvoir tout en limitant celui des autres.
Ainsi, les techniciens et les ouvriers qualifiés développent des stratégies visant à accroître leur autonomie tandis que leurs supérieurs hiérarchiques tentent de la restreindre. Chacun va tenter de contrôler l’activité de l’autre en faisant adopte des réglementations limitant ses capacités d’initiative. Ces réglementations rigidifient l’organisation mais, contrairement à ce que supposait Weber, n’arrivent jamais à rendre le comportement des acteurs parfaitement prévisible. Chaque acteur se saisit des opportunités qui s’ouvrent à lui afin de modifier les équilibres de pouvoir au sein de l’organisation pour tenter d’accroître le sein.
Dans ce jeu incessant de lutte des pouvoirs, les objectifs finaux de l’organisation sont souvent perdus de vue.
LE ROLE DES DIFFERENTES FORMES DE RATIONALITE DANS LA MOBILISATION COLLECTIVE.
Le concept de rationalité a parfois été utilisé pour expliquer la mobilisation collective. Mancur Olson fait l’hypothèse d’individus rationnels en finalité (mais dont la rationalité est limitée ) qui calculent les avantages et les inconvénients de la mobilisation et ne participent au conflit que lorsqu’ils peuvent en tirer un bénéfice.
La réponse étant souvent négative, cette théorie est fréquemment utilisée pour expliquer la crise du syndicalisme.
Pourtant la société moderne reste conflictuelle. La rationalité en valeur peut être invoquée pour expliquer les transformations de la mobilisation collective dans les sociétés modernes. Selon le sociologue Ronald Inglehart, l’élévation du niveau de vie dans nos sociétés a conduit à la satisfaction des besoins essentiels et donc à l’effacement des revendications portées par des valeurs matérielles, il explique ainsi le déclin du mouvement ouvrier.
Cependant, l’émergence de valeurs post-matérialistes centrées sur la qualité de vie, les différentes identités, le besoin de démocratie… seraient à l’origine de nouveaux mouvements sociaux aux revendications plus qualitatives que quantitatives.