ECHANGE INTERNATIONAL ET CROISSANCE DANS L’ANALYSE DE DAVID RICARDO.
1° ELEMENTS DE BIOGRAPHIE DE DAVID RICARDO.
Né à Londres en 1772 dans une famille d’émigrants juifs venus du Portugal, David Ricardo commence à travailler dès l’age de 14 ans avec son père, courtier à la City.
A 22 ans, il rompt avec sa famille à la suite de son mariage et de sa conversion à la religion des quakers (une branche du protestantisme). Il s’installe à son compte comme courtier en valeurs. Spéculateur habile, il amasse rapidement une grande fortune et se retire des affaires en 1814.
C’est un grand amateur de sciences naturelles et notamment de géologie, mais quand il lit « les richesses des Nations » de Smith, il se passionne pour les questions économiques de son temps :
A l’époque, les guerres napoléoniennes ont entraîné en Angleterre (blocus continental effectué par Napoléon) la hausse des prix et la dépréciation des billets de banque, conduisant en 1797 à la suspension de la convertibilité-or des billets sterling.
Ricardo intervient dans un journal sur ces questions monétaires et publie en 1811 son premier ouvrage.
Il entre en relation avec Malthus avec lequel il entretient une correspondance intense et une amitié qui ne se démentira pas en dépit de leurs querelles théoriques.
Il rencontre aussi JB Say dont il a lu les écrits et auquel il s’oppose sur les questions de la valeur et de la rente, tout en reprenant la loi sur les débouchés.
En 1815, il intervient dans la controverse sur le commerce du blé et publie un essai sur l’influence du bas prix du blé sur les profits du capital montrant le vice des restrictions dirigées contre les importations, dans lequel il préconise l’abolition des lois protectionnistes sur le blé.
A partir de là, son attention se concentre sur l’opposition des intérêts de la bourgeoisie industrielle (favorable à la baisse du prix du blé) et ceux des propriétaires fonciers (défenseurs du protectionnisme agricole, il est contre les CORN LAW)
Il s’attache alors à élaborer une théorie de répartition de la richesse nationale, sur la base de laquelle il formule une théorie de la croissance économique.
Il publie en 1817 son ouvrage majeur « Des principes de l’économie politique et l’impôt »
En 1819, il devient député à la Chambre des Communes et s’engage résolument en faveur du libre-échange, prenant la défense des intérêts des capitalistes contre les propriétaires fonciers.
Il meurt en 1823
2° LA PLACE DE D.RICARDO DANS LA PENSEE ECONOMIQUE.
Un pays a-t-il intérêt à participer à l'échange international ? Pour Ricardo la réponse ne fait aucun doute : un pays peut toujours tirer parti du commerce avec d’autres nations. Avec une telle proposition
Ricardo pose les fondements au début du XIXe siècle de la doctrine libre-échangiste, doctrine qui S'inscrit dans la pensée libérale initiée par A. Smith.
Cette grande vertu attribuée au libre-échange marque une rupture évidente avec la conception mercantiliste du commerce international qui avait prévalu jusque-là. Les Mercantilistes portent toute leur attention sur l'enrichissement de la Nation, enrichissement mesuré par le stock d'or et d'argent accumulé. Dès lors, le commerce extérieur du pays doit impérativement être excédentaire afin de générer le maximum d'entrées de métal précieux et d'en limiter les sorties. Les excédents des uns étant les déficits des autres, le commerce international s'apparente donc à un jeu à somme nulle : ce que gagnent les uns est perdu par les autres. Cette stratégie conduit l'État à mener une politique Protectionniste afin de protéger les marchandises produites sur le territoire national de la concurrence étrangère.
Dans la pensée « classique », la richesse d'une nation ne se mesure pas par le stock d'or et d'argent accumulé ; l'accès à des biens variés et au moindre coût constitue la principale source de bien-être d'une population. Aussi, la division du travail à l'échelon international et la liberté de commercer vont-ils permettre d’atteindre cet objectif.
Au moment où il énonce sa théorie, David Ricardo s’interroge sur la nécessité du capitalisme de recourir au commerce international pour survivre. Cette interrogation se prolonge à notre époque par une interrogation plus fondamentale encore : l’échange international (= le libre échange entre les nations) favorise-t-il la croissance économique ?
L’analyse ricardienne de l'échange international va constituer pendant longtemps une justification théorique aux politiques d'ouverture des économies nationales qui se succéderont au XIXe siècle mais aussi au XXe siècle et qui se manifesteront notamment au travers des négociations du GATT puis de l’OMC.
Toutefois, au cours des cinquante dernières années, le cadre dans lequel se déroule le commerce international a connu de nombreux bouleversements avec l’émergence des nouveaux pays industrialisés, ou encore le développement des firmes multinationales dont les stratégies particulières rendent caduques les hypothèses de départ de Ricardo. C’est cette planète en mouvement où S’intensifient les échanges de toute nature et où s’accélère encore le phénomène de « mondialisation » des échanges, qui constitue désormais un nouveau cadre de réflexion pour l’analyse économique.
Avec Smith et Malthus, Ricardo est l’un des trois grands représentants du courant classique anglais qui promeut le libéralisme et donc la non-intervention de l’Etat dans l’économie et qui affirme que la valeur des marchandises provient de la quantité de travail nécessaire pour les produire (théorie de la valeur travail de Smith)
Ricardo a développé la théorie de la valeur travail initialement présentée par Smith en montrant qu’il faut aussi considérer le travail qui a permis de produire les biens de production nécessaire pour la réaliser, de plus, sa théorie de l’échange international en montrant que même des pays peu productifs peuvent avoir intérêt à échanger et que la balance des comptes est naturellement équilibrée.
L’apport le plus important de Ricardo à la pensée économique est sa célèbre loi des avantages comparatifs qui est encore le fondement des échanges internationaux, mais son analyse de l’équilibrage automatique de la balance des comptes extérieurs, ses développements sur les rendements décroissants et ses analyses sur l’impôt font de Ricardo un auteur de premier plan.
Les deux principales analyses de Ricardo sont la théorie de la répartition et la théorie du commerce international.
3° LES GRANDES LIGNES DE LA PENSEE DE D.RICARDO.
- LA THEORIE DE LA REPARTITION
Pour Ricardo, l’avenir du capitalisme dépend de l’accumulation du capital et donc du taux de profit.
La société qu’il décrit est divisée en trois catégories sociales qui se partagent trois types de revenus :
- Les travailleurs salariés qui vendent leur travail et reçoivent en contrepartie un salaire de subsistance (= salaire naturel : c’est à dire tout juste suffisant pour assurer sa survie et celle de sa famille) ;
- Les capitalistes reçoivent un profit qui est égal à la différence entre la valeur des marchandises produites et le montant des salaires versés. (NB : Ricardo affirme que la valeur d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail directement fournie par les travailleurs pour la produire, mais aussi par le travail indirect qui a du être effectué pour produire les outils et les machines utilisés – c’est la théorie de la « valeur-travail »).
- Les propriétaires fonciers reçoivent une rente (« rente foncière ») qui est déterminée par l’écart entre le rendement de la terre la plus fertile et le rendement de la terre la moins fertile.
A partir de ces éléments, Ricardo développe l’idée que sur le long terme, la part relative de ces trois revenus se modifie au détriment du profit et à l’avantage de la rente foncière conduisant ainsi à freiner voire même à stopper l’accumulation du capital (= l’investissement).
Dans ces conditions, la croissance va devenir nulle parce qu’il ne sera plus rentable d’investir.
Ricardo parle alors « d’état stationnaire » pour décrire une économie sans croissance.
Son raisonnement peut se résumer de la manière suivante :
L’augmentation des salaires encourage les ouvriers à faire plus d’enfants, la population augmente. Pour nourrir tout le monde, il faut mettre en culture des terres de moins en moins fertiles où le rendement l’hectare est moins bon et les coûts de revient plus élevés (ces terres ont donc un rendement décroissant).
La « loi des rendements décroissants »
Cette loi stipule qu’au delà d’un certain seuil, l’augmentation d’un facteur de production utilisé entraîne une augmentation proportionnellement moins forte de la production. Ainsi, par exemple si j’utilise 10% de capital en plus et que la production n’augmente que de 6%, je suis dans une situation de rendements décroissants.
Ainsi, comme le prix de vente du blé va être déterminé par le coût de production sur la dernière terre mise en culture ; il va donc s’élever, entraînant une augmentation du prix du pain, poussant lui-même à la hausse le salaire ouvrier (puisque l’achat de blé est nécessaire à la subsistance). Or, quand les salaires augmentent, les profits baissent puisque ce sont les capitalistes qui payent les salaires. Il en résulte donc la chose suivante :
↑ Prix du blé => ↑ prix du pain=> ↑ salaire de l’ouvrier => ↓ taux de profit=> ↓de l’accumulation du capital (moindre motivation à produire) => stagnation de la production économie « sans croissance » (= « état stationnaire »)
Le grand perdant du système est… le capitaliste car l’augmentation des salaires fait baisser son taux de profit. Il n’est plus en mesure d’investir autant qu’auparavant ce qui est dommageable pour l’ensemble de l’économie puisque c’est par l’accumulation du capital qu’il introduit du progrès technique au sein de la société est assure son « progrès » !
Le grand gagnant est… le propriétaire foncier car il s’enrichit en touchant la rente foncière.
La seule façon d’écarter le spectre de l’état stationnaire est d’importer du blé et donc d’accepter le libre-échange.
Qu’est-ce que le « libre échange » ?
On peut envisager le libre échange sous trois angles :
- Comme une situation… il n’y a pas d’obstacle à la libre circulation, entre les pays, des biens et des services, y compris des capitaux.
- Comme une politique des échanges avec l’extérieur… elle instaure la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes entre les pays (« libre » signifie : « sans limitation et sans réglementation ») ;
- Comme une théorie… selon laquelle deux pays sont dans une situation plus avantageuse dès lors qu’ils ouvrent leurs frontières aux échanges internationaux. Cette théorie préconise la spécialisation des pays participant au libre échange. (C’est cette définition que nous retiendrons plus)
Cette théorie se fonde sur la théorie de la valeur travail que Ricardo a reprise à Smith en l’approfondissant.
La seule façon d’écarter ce risque est d’importer le blé et donc d’accepter le Libre-Echange.
- L’INTERNATIONALISATION DES ECHANGES .
A partir du problème évoqué plus haut, Ricardo va donc justifier le recours au libre-échange. Aussi, la libre importation du blé et des subsistances apparaît comme le moyen de relever le taux de profit et ainsi d’accélérer l’accumulation du capital. L’ouverture aux importations de blé étranger permettrait de relâcher la forte pression à la hausse sur le prix du blé britannique et serait ainsi, en permettant un rétablissement des profits, un remède à la perspective d’état stationnaire de l’économie. A partir de 1819, dans la cadre de son activité de parlementaire, David Ricardo va militer pour l’abolition des lois sur les blés, les corn laws, qui étaient des taxes destinées à dissuader voir à interdire les importations de blé étranger à plus bas prix, et donc plus compétitif, que le blé britannique.
Dans Principes de l’économie politique et de l’impôt, en prenant l’exemple d’un pays qui ne dispose d’aucun avantage absolu dans la production des biens, Ricardo démontre que la spécialisation et l’ouverture aux échanges sont quand même source de croissance. Le message de Ricardo est positif quant au libre-échange : selon lui, tout pays peut gagner à échanger des marchandises. Au pire, il n’y perd pas, au mieux, il y gagne !!!
Cette théorie retient trois hypothèses avancées par Ricardo :
- Les facteurs de production sont mobiles à l’intérieur de chaque pays, mais immobiles entre les différents pays.
- Le rapport d’échange international doit se situer entre le rapport des coûts de chaque pays pour que chacun y gagne.
- Les avantages comparatifs sont durables, un pays avantagé le restera. Cela signifie implicitement que les rendements ne sont pas décroissants.
Ricardo raisonne dans le cadre d’un échange entre deux Nations et dans le cadre d’un commerce inter-branche, or il s’agit d’un modèle qui n’est pas toujours conforme à la réalité.
- LA LOI DES AVANTAGES COMPARATIFS.
La célèbre théorie des avantages absolus de Smith énonce que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans les produits pour lesquels il est le plus avantagé et à abandonner la production des autres produits.
Cette théorie justifie l’échange et la spécialisation internationale, mais n’évoque pas le cas de pays faiblement compétitifs qui n’auraient d’avantage dans aucun produit.
Ricardo affirme que le Libre-Echange et la spécialisation sont toujours favorables et pour tous les pays, même les moins compétitifs. Il justifie, en effet, le Libre-Echange par la loi des avantages comparatifs.
Selon cette loi, quelle que soit la situation d’un pays, la spécialisation et l’échange international procurent un gain. Les pays ont intérêt à se spécialiser dans les produits pour lesquels ils sont les plus avantagés ou les moins désavantagés.
C’est ce qu’il explique en prenant comme exemples l’Angleterre et le Portugal pour les commerces de vin et de drap.