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Conflits de classes et changement social chez Karl Marx

CONFLITS DE CLASSES ET CHANGEMENT SOCIAL CHEZ K.MARX

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes. »

Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du parti communiste, 1848.




1° QUELQUES ELEMENTS DE LA BIOGRAPHIE DE KARL MARX.

Karl Marx est né à Trèves le 5 mai 1818 (Allemagne, Prusse Rhénane), il est issu d’une famille de la bourgeoisie d’origine juive convertie au protestantisme. Il fit ses études de philosophie et de droit aux universités de Bonn, de Berlin et de l’Iéna, puis il soutient une thèse de philosophie en 1841.

N’obtenant pas de chaire professorale, il collabore à la Gazette Rhénane et en devient le rédacteur en chef.

En 1843, le journal est interdit à cause des critiques de Marx sur les conditions politiques et sociales de l’époque, il est alors expulsé et va à Paris.

Il en est expulsé en 1845, puis, il part en Belgique pour retourner en Allemagne.

Expulsé de nouveau, il finit par s’installer en Grande-Bretagne où il fut aidé dans ses travaux et financièrement par F.Engels.

Il fonde en 1847 la Ligue des Communistes pour laquelle il écrit avec F.Engels en 1848 : Le manifeste du parti communiste.

Soucieux d’appuyer son action politique sur des bases qu’il voulait scientifiques, il étudie les mécanismes de fonctionnement du capitalisme prenant appui sur les travaux de l’économie politique anglaise et notamment sur les travaux de D.Ricardo pour en établir la critique.

En 1852-1855, il écrit le « 18brumaire de Louis Bonaparte »

En 1864, il fonde la 1ère Internationale ouvrière pour tenter de rassembler les forces syndicales et politiques du mouvement ouvrier naissant.

Au-delà de l’échec de cette internationale, Marx imprime fortement par ses écrits, la vie des  organisations composant le mouvement socialiste.

En 1867, il publia le premier tome de son œuvre « Le Capital », puis en 1885 après sa mort le deuxième tome fut publié, en 1894, le troisième et enfin en 1905, le dernier tome paru.

Marx demeura à Londres jusqu’à sa mort en 1883.

 

2° LA PLACE DE KARL MARX DANS LA PENSEE ECONOMIQUE ET SOCIALE.

Karl Marx est un philosophe, un économiste et un « révolutionnaire » allemand. Il est le cofondateur avec Friedrich Engels du socialisme scientifique et à ce titre, il devient l’initiateur du mouvement ouvrier international contemporain.

Sa théorie fut à l’origine de l’établissement de régimes politiques communistes dans de très nombreux pays, et il demeure l’un des penseurs qui a le plus fortement marqué le XXème siècle de son empreinte.

Son œuvre théorique est considérable, Marx apparaît comme un penseur et un écrivain fécond, il occupe dans la pensée du XIXème siècle une grande place, tant sur le terrain de la philosophie, avec le matérialisme dialectique et historique, que ceux de l’économie politique, avec sa théorie de la plus-value et l’accumulation du capital, ou de l’Histoire et de la Sociologie avec son analyse des classes sociales et de la place qu’occupe celles-ci dans l’Histoire et le changement social.

 

3° LES GRANDES LIGNES DE LA PENSEE DE KARL MARX.

Les mutations économiques (développement de l’urbanisation, l’exode rural, …) qui accompagnent la Révolution industrielle vont bouleverser le paysage social ; l’apparition d’une catégorie nouvelle le « prolétariat de fabrique » sera ressentie par les contemporains comme un phénomène majeur de cette époque comme en témoigne le Rapport Villermé en France. Ce rapport publié en 1840 par le Docteur Villermé évoque la condition misérable des ouvriers du textile et en particulier les abus du travail des enfants. Il fut à l’origine d’une loi sociale en 1861 qui limite le travail des enfants dans l’industrie. La loi qui ne sera d’ailleurs guère respectée.

Le libéralisme de l’époque laisse désormais face à face salariés et employeurs ce qui génère des conditions de travail effroyables et des conflits sporadiques mais violemment réprimés.

C’est dans ce contexte que Karl Marx élabore une pensée qui met le conflit au centre du changement social à travers les contradictions internes du capitalisme et surtout le rôle centrale donné à la lutte des classes.

a)      La notion de classe sociale chez Marx

 

Dans l’analyse marxiste les classes sociales sont définies par la place qu’elles occupent dans la sphère de la production matérielle. En d’autres termes, Marx voit dans le fonctionnement de l’économie, l’origine des classes sociales et de leur lutte.

 

Marx parle de classes fondamentales pour décrire celles qui se situent au cœur des conflits des rapports de production et auxquelles il accorde un intérêt particulier (EX : Maîtres / esclaves dans le mode de production esclavagiste ; bourgeoisie / prolétariat dans le mode de production capitaliste).

Lorsqu’il adopte une approche plus historique et plus politique des sociétés, on se rend compte que son analyse est plus complexe et plus nuancée que ce qu’il laisse entrevoir dans le Manifeste du parti communiste où il décrit un monde bipolaire constitué de deux classes antagonistes, la bourgeoisie et le prolétariat, engagées dans une lutte qui aboutira à la révolution.

En effet, Marx cherche à comprendre le lien social plus ou moins fort qui existe au sein de chaque groupe social ce qui l’amène à repérer d’autres ensembles (les classes non fondamentales qui, elles, s’allient tantôt à l’une ou à l’autre des classes fondamentales) :

- Ainsi, la paysannerie parcellaire est plus « une masse» qu'une classe car elle est isolée, incapable de formuler une vision propre de la société ; la rente foncière l'étrangle, mais elle a besoin d'un sauveur extérieur pour venir la libérer du joug de l'aristocratie foncière... En effet, il n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local, de plus la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale, ni aucune organisation politique !

- La petite bourgeoisie est composée d'artisans et de petits commerçants : l'endettement et les impôts constituent pour eux la menace d'une prolétarisation qui leur fait aussi rechercher un sauveur.

- Les fonctionnaires ont intérêt au développement de l'État et des impôts ; ils pratiquent le carriérisme et s'opposent à ceux qui vivent de leur activité privée...

- La classe ouvrière est certes capable de conscience révolutionnaire, mais les ouvriers des  industries de luxe sont très différents du prolétariat industriel concentré ou des ouvriers artisanaux de province.

- La bourgeoisie elle-même se divise en trois fractions concurrentes ; l'une industrielle et commerciale ne peut arriver au pouvoir que si le pays se modernise et s'industrialise, l'autre, financière, a tout intérêt à l'endettement de l'État qui lui permet de vivre de ses rentes spéculatives ; enfin la bourgeoisie foncière est dominante en province, elle profite de la paysannerie et pousse au protectionnisme agricole

 

Trois critères sont mis en avant par K. Marx pour sa définition des classes :

 

-          Une classe sociale est définie par sa place dans les rapports de production. Les membres appartenant à une même classe sociale sont situés dans une position identique au sein des rapports de production. Tout d’abord, ils jouent ainsi un même type de rôle dans la  production et la circulation des richesses (ils créent de la valeur ou n'en créent pas). Ensuite, ils disposent d'une part donnée dans la répartition des richesses (le salaire pour les travailleurs, la plus-value pour les capitalistes). Ce critère permet de définir la classe « en soi ».

-          Une classe sociale est aussi définie par la conscience de classe. Cela signifie que des individus doivent avoir le sentiment d’appartenir à un groupe ayant des intérêts communs. Cette conscience de classe leur permet de savoir de qui ils sont proches et contre qu’ils doivent mener une lutte L’absence de cet élément rend une classe incapable d’être dominante politiquement. Marx montre ainsi, qu’il ne suffit pas que de nombreux hommes soient côte à côte sur un même plan économique pour que la classe soit véritable, il faut, avant tout, que ces hommes soient réunis par un lien psychologique qui est la conscience de classe ; sinon, ils ne constituent qu’une simple addition d’objets identiques. « la grande masse de la nation française est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près comme un sac de pommes de terre est formé de pommes de terre ». Pour Marx, il en va ainsi des paysans qui, repliés sur leur ferme familiale, entretiennent peu de relations entre eux et n’ont pas l’impression d’avoir des intérêts communs. Pour reprendre les termes de Marx, ils  constituent une classe « en soi » (ils occupent une place déterminée dans les rapports de production), mais pas une classe « pour soi » (ils n’ont pas conscience du rôle qu’ils pourraient jouer en se rassemblant).

-          Une classe sociale entretient des rapports conflictuels avec d’autres classes. Ainsi, dans le mode de production capitaliste, les prolétaires qui ne possèdent que leur force de travail et les bourgeois qui possèdent les moyens de production sont en lutte : Cette lutte existe parce que leurs intérêts divergent : ils se disputent la richesse créée !

Tout d’abord, les prolétaires sont les seuls à créer de la richesse car seul le travail est source de valeur. Or, les profits qu’obtiennent les bourgeois (= les entrepreneurs capitalistes) proviennent d’une ponction opérée sur la valeur créée par le travail.

Ensuite, les salaires versés sont les plus faibles possibles, c’est un  salaire de subsistance, tout juste suffisant pour permettre aux ouvriers et à leurs familles de survivre.

Selon Marx, le capitalisme doit donc mener à une bipolarisation sociale (bourgeois / prolétaires) et à l’effacement progressif des autres classes : ainsi, la plupart des individus qui composent la société devraient se prolétariser tandis qu’une minorité d’individus devrait s’enrichir et intégrer la bourgeoisie.

C’est donc une conception pyramidale de la société.

 

Une approche des classes sociales qui varie d’un ouvrage à l’autre…

- l’approche prophétique : Dans le Manifeste du Parti Communiste (1848), Marx prophétise la fin du capitalisme et la victoire du prolétariat. Il radicalise et bipolarise les conflits de classes : la bourgeoisie s’oppose à la classe ouvrière dans une lutte à mort.

- L’approche théorique : Dans le tome III du Capital, sa principale oeuvre théorique, Marx distingue trois classes selon l'origine de leurs revenus, la classe capitaliste (le profit), les propriétaires fonciers (la rente foncière), et les ouvriers (le salaire).

- L’approche historique : Dans La lutte des classes en France 1848-1850, Marx fait d'abord oeuvre d'historien et distingue de nombreuses classes et fractions de classes : aristocratie financière, bourgeoisie industrielle, petite bourgeoisie (artisans, commerçants, boutiquiers...), classe paysanne, prolétariat industriel, lumpenprolétariat. Les alliances et les luttes entre les classes et fractions de classes déterminent le sort des régimes politiques. Sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), la bourgeoisie industrielle et la classe ouvrière s’allient contre la classe dominante : l'aristocratie financière. Mais après la chute de ce régime en 1848, la bourgeoisie se constitue vraiment en tant que classe en regroupant ses fractions financières et industrielles. Les révoltes ouvrières de juin 1848 écrasées par la répression montrent pour la première fois aux prolétaires leur véritable ennemi : la bourgeoisie qui s'est emparée de l'appareil d'État et qui assure maintenant sa totale domination.

Le prolétariat commence à prendre conscience de lui-même. Les ouvriers se coalisent pour défendre d'abord leurs salaires, puis leur intérêt global de classe. Ils s'organisent en syndicats, en partis politiques ; c'est la montée du socialisme révolutionnaire : « Toute lutte des classes est une lutte politique ». Pendant les événements de 1848-1850 s'opère une cristallisation des classes sociales qui rejoignent soit la bourgeoisie, soit le prolétariat.

Dans Le 18 Brumaire de Louis Napoléon (1852), consacré au coup d'État en 1851 de Louis Napoléon Bonaparte, Marx réaffirme ce qui fait vraiment une classe : pas de vraie classe sans conscience de classe, et la conscience de classe débouche sur la lutte des classes. Le prolétariat se découvre en découvrant ses ennemis.

La bourgeoisie, en créant la classe ouvrière, a engendré ses propres fossoyeurs. Le déclin de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont aussi inévitables l'un que l'autre.

 

Il faut noter que le fait de partager les mêmes conditions d’existence ne suffit pas à forger une conscience de classe ni à s’organiser collectivement pour défendre un intérêt commun.

Il y a donc, selon Marx, véritable classe sociale quand sont réunis des facteurs sociologiques (et économiques !) communs – genres de vie, intérêts, culture proche – et « une conscience de classe »

Chez Marx, le processus de production capitaliste crée en fait deux positions, celle de l’exploiteur et celle de l’exploité. Les exploiteurs sont les propriétaires des moyens de production et les exploités sont les prolétaires.

Ainsi, les comportements individuels et les actions collectives sont expliqués par ces positions dans le système. C’est donc bien le mode de production capitaliste qui détermine les positions des classes sociales.

 

b)      La lutte des classes comme moteur de l’Histoire.

 

Une fois réunis les rapports de production, les forces productives et le mode de production, on dispose de tous les éléments nécessaires pour mener une analyse marxiste des sociétés.

L'évolution de la société s'analyse à partir du jeu combiné des éléments qui la composent.

Caractérisé par la propriété privée des moyens de production et par le salariat, le capitalisme a d’abord permis une croissance économique importante avant de connaître des crises industrielles.                                       A l’origine de ces difficultés : les rapports de production qui peu à peu font obstacle au développement des forces productives (et plus globalement au développement de la production). Il faut alors changer de mode de production. Dans l’analyse marxiste, le capitalisme doit donc disparaître et laisser la place, pendant un période transitoire, à une dictature du prolétariat pour enfin aboutir au communisme : une forme de société sans classe !

 

C’est donc la lutte des classes menée dans la production par les travailleurs « exploités » face aux capitalistes « assoiffés » de profit, qui assurera la subsistance (= la survie !) de la force de travail et de la classe ouvrière. Le prolétariat se découvre en découvrant ses ennemis.

 

Ainsi, face à l’exploitation et à la dégradation de leur condition, les prolétaires se rendent compte au sein de l’entreprise (c’est à dire là où on les a concentrés, regroupés !) qu'ils doivent s'unir pour résister à la baisse des salaires, d'où la formation de coalitions (EX : les unions syndicales) qui, à l'origine, ont pour objectif de défendre les intérêts économiques des ouvriers. Ces coalitions ont pour but de faire cesser immédiatement la concurrence entre eux et de mettre en place une résistance générale face aux entrepreneurs capitalistes. (Naissance de la « classe en soi »).

Mais la lutte des classes dans le mode de production capitaliste devient politique lorsque la classe ouvrière prend conscience qu'elle mettra fin à l'exploitation en prenant le pouvoir. Les groupes de défense des intérêts économiques que sont les syndicats doivent se transformer en coalitions politiques (« La lutte de classe à classe est une lutte politique »). (Naissance de la « classe pour soi »)

La lutte du prolétariat commence d’abord par une lutte économique dans l’entreprise et devra se poursuivre par une lutte politique pour gagner sa reconnaissance et « changer les choses » !

Enfermés dans leur recherche d’un profit toujours plus grand, les capitalistes ne cessent de concentrer toujours plus de moyens de production jusqu’à devenir, par le jeu des contradictions internes au capitalisme, leurs propres fossoyeurs.

La bourgeoisie est condamnée à disparaître parce qu’elle condamne son « esclave » (= le prolétariat) sans lequel elle ne peut exister !

 

Ainsi chaque mode de production engendre ses propres contradictions ; le capitalisme n’échappe pas à cette règle. Il mène à la paupérisation des prolétaires et à l’aggravation de la lutte des classes, de même, il provoque des crises de surproduction et suscite une baisse du taux de profit.

 

c)       La baisse tendancielle du taux de profit.

 

C'est la recherche du profit qui constitue le moteur principal du capitalisme et à ce titre, il apparaît à la fois comme la condition fondamentale de son existence et comme une limite.

Les activités ne sont développées que si elles sont rentables et la rentabilité est fonction du taux de profit obtenu (= plus-value / capitaux investis x 100).

C'est lui qui constitue « le baromètre » principal de l'activité capitaliste.

Le mode de production capitaliste constitue tout d’abord une source importante de croissance économique. Mais la quête permanente du profit et la concurrence que se livrent les producteurs capitalistes les conduit à investir voire à surinvestir (= suraccumulation du capital).

Ainsi, pour accroître sans cesse la plus-value, l’entrepreneur capitaliste accumule du capital.                    En modernisant l’outil de production, cela lui permet d’accroître la production ou si vous préférez d’augmenter la richesse créée par travailleur (= gains de productivité). Ce faisant, il fait augmenter la composition organique du capital :

 

(Composition organique du capital = C/V, avec « C » capital constant et « V » capital variable).

 

En d’autres termes, il utilise de plus en plus de capital (travail mort) et de moins en moins de travail (travail vivant) pour réaliser sa production. Or, seul ce dernier type de travail est créateur de richesses et donc… source de profit. Il y a là une contradiction essentielle !

Le capital ne peut être mis en oeuvre que par l'intermédiaire de la force de travail apportée par les travailleurs. « Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s'anime qu'en suçant le travail vivant, et sa vie est d'autant plus allègre qu'il en pompe davantage » (Le Capital). À terme et c'est une évidence, le système ne pourra plus engendrer de nouvelles richesses et le capitaliste verra son taux de profit baisser.

En remplaçant de plus en plus le travail des ouvriers par le capital, le capitaliste réduit en même temps les possibilités d’embauche des ouvriers, par ailleurs, les gains de productivité permettent de baisser le prix des biens produits, ce qui du même coup fait baisser le prix des biens de subsistance et tire vers le bas le salaire des ouvriers. La subsistance du prolétariat devient de plus en plus problématique. Prêts à tout pour survivre, les ouvriers se font concurrence entre eux et accélèrent encore davantage la baisse de leur salaire et de leur niveau de vie.

Ainsi grossit ce que Marx appelle « l’armée industrielle de réserve », cet ensemble des d’ouvriers éliminés de la production, réduit au chômage et à la misère.

Cette paupérisation croissante de la population salariée réduit les débouchés de la production. Le système entier est alors menacé par des crises de surproduction !

L'appauvrissement durable des travailleurs génère des tensions sociales qui sont encore accrues par les crises économiques qui manifestent une contradiction majeure du mode de production capitaliste : la recherche de profit s'effectue sans se soucier de la satisfaction des besoins humains !

Victime de sa propre logique, de moins en moins capable de gérer ses contradictions le capitalisme est historiquement condamné et s’achemine vers une crise finale inéluctable.

 

4) L’actualité et les prolongements de la pensée marxiste.

Les critiques portent principalement sur deux points : tout d’abord sur la conception marxiste des classes et sur leur existence même ; ensuite sur les limites d’une analyse en termes de lutte des classes aujourd’hui.

 

a)      Structure et évolution des sociétés actuelles.

Selon Marx, la dynamique interne du mode de production capitaliste devait entraîner une bipolarisation de la société entre, d'une part, la bourgeoisie capitaliste, détentrice des moyens de production, d'autre part, le prolétariat, privé de ces moyens de production et par là même, contraint pour assurer sa subsistance, de vendre au capitaliste la seule propriété qui lui reste : sa force de travail. Par cette relation salariale nécessaire où la force de travail de l'homme se transforme en marchandise, s'instituent un rapport de domination et d'exploitation et un antagonisme fondamental entre les deux classes.

De fait, pendant un siècle, la marginalisation progressive de la paysannerie et de la petite bourgeoisie artisanale et commerciale, la montée en puissance du « grand capital » et l'accroissement quantitatif de la classe ouvrière et par là même du salariat ont semblé confirmer l'analyse marxiste.

 

Dans les années 1960, les ouvriers de l'industrie étaient devenus, dans tous les pays développés, la catégorie sociale de loin la plus nombreuse et la plus homogène par ses conditions de travail et son mode de vie.

Mais au fur et à mesure de cette salarisation croissante liée à la réduction du nombre d'indépendants, on a assisté à une modification rapide de la structure de ce salariat avec la montée du monde des cadres supérieurs et moyens, des intellectuels, des fonctionnaires, des employés (= les fameux « cols blancs »). Qui plus est, à partir de 1970, on assiste même à la diminution du nombre d’ouvriers.

Autre changement caractéristique des « Trente Glorieuses », l'amélioration incontestable des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière et la participation régulière aux fruits de la croissance de la grande masse des travailleurs. La création d'un salaire minimum, la pratique de l'échelle mobile des salaires, la protection sociale et le développement du droit du travail avaient permis au monde ouvrier d'accéder à une existence plus digne et de s'insérer davantage dans le tissu social.

Mais ce « compromis fordiste » était-il compatible avec les thèses de Marx sur la paupérisation et l'exploitation croissante des travailleurs et sur la radicalisation des antagonismes de classes ?

La classe ouvrière aurait-elle encore autant de raisons de lutter contre la classe dominante ?

 

Enfin, avec le développement des grandes firmes et le pouvoir croissant dans la direction et la gestion des entreprises exercé par ce que Galbraith a appelé la « technostructure », le contrôle effectif des moyens de production semble échapper aux capitalistes proprement dits. Cette évolution serait-elle susceptible de remettre en cause la conception marxiste de la propriété du capital comme critère de détermination de la classe dominante ?

 

De fait, la majorité des sociologues actuels, même s'ils concèdent à Marx une relative capacité à interpréter le capitalisme de son temps, considèrent que de telles évolutions des sociétés contemporaines sont de nature à rejeter les théories marxistes.

 

b)      Des strates plutôt que des classes sociales !

Un premier courant de pensée, analyse les sociétés occidentales en termes de strates plutôt qu'en termes de classes. Entre ces strates, nul rapport d'exploitation et nul antagonisme irréductible, mais seulement différentes positions de richesse, de pouvoir et de prestige entre lesquelles il existe une forte mobilité sociale qui atténuerait les frontières. Au lieu de luttes de classes, il faudrait parler de volonté d'imitation et de désir d'ascension par chacun vers les strates supérieures.

Parmi ces théories de la stratification sociale, la thèse de la société en « montgolfière » ou en « toupie » ou encore société des « deux-tiers » est sans doute devenue la conception dominante de la structure sociale des sociétés contemporaines développées. L'« embourgeoisement » de la classe ouvrière autant que la montée du « nouveau salariat » auraient donné naissance à une vaste classe moyenne relativement homogène du point de vue de son niveau de vie et de sa culture située entre deux pôles : « en bas », une minorité d'« exclus », « en haut », une minorité de « privilégiés » dont la domination perdrait peu à peu de son impact face à l'attraction culturelle qu'exerceraient les couches supérieures de cette société.

C'est cette image de moyennisation que retiennent aujourd'hui de nombreux sociologues comme G. Simmel ou encore Henri Mendras qui préfère parler de « constellation centrale » plutôt que de classe moyenne.

De son côté, Max Weber élabore une théorie à trois dimension de la stratification sociale afin de mieux comprendre la diversité des sociétés contemporaines. Pour lui, il existe au sein de la société trois sortes de hiérarchies : une première qui est fonction de l’ordre économique (différence de niveau de vie, d’accès à la consommation, etc.), une seconde qui est fonction de l’ordre social (différences de prestige et d’honneur social liées à la naissance, à l’instruction, etc.) et une troisième qui dépend de l’ordre politique (= différences d’accès au pouvoir et à son contrôle). Pour M. Weber, une classe sociale regroupe l’ensemble des individus qui ont le même statut, c’est à dire la même position sur ces trois échelles !

 

Que l’on parle de stratification, de moyennisation ou de constellation centrale, on est loin de la vision bipolaire et des antagonismes entre deux classes qu’envisageait Marx.

 

c)       D’autres clivages et enjeux de conflits que l’économie.

Pour Pierre Bourdieu, il existe bien une opposition entre dominants et dominés, mais cette dernière ne repose pas tant sur des enjeux économiques mais plutôt sur des enjeux symboliques.

La lutte qui se développe est en fait une lutte pour l’obtention de différents capitaux : capital économique (EX : richesses), capital culturel (EX : diplômes) et capital social (EX : relations). Il étudiera cette lutte des classes dans le domaine culturel en particulier, en montrant comment l’école « élimine » les enfants des classes inférieures et « reproduit » la domination des classes supérieures.

 

Pour le sociologue R. Darhendorf, en observant plus particulièrement les organisations bureaucratiques (entreprises, administrations), il constate une distribution inégale de l’autorité (définie comme la capacité à obtenir la soumission ou l’obéissance des autres). Cette inégalité est à l’origine d’une structuration en classes, opposant ceux qui donnent les ordres et font des choix et ceux qui exécutent. Il va donc y avoir une opposition entre ceux qui cherchent à maintenir leur domination et ceux qui souhaitent le changement. L’enjeu, ici, n’est plus le partagede la plus-value mais le partage de l’autorité !

 

Pour A. Touraine, les classes s’affrontent pour le pouvoir : contrôler l’information, diriger les organisations, etc. Ainsi, les conflits de classe dans la société post-industrielle ne portent plus sur la propriété des moyens de production ou l’appropriation du profit mais se sont déplacés vers la capacité à orienter les choix de la société, son image et son devenir. Cette possibilité de « contrôler l’historicité » (= de définir le sens dans lequel évoluera la société) va être conditionnée par le pouvoir dont on dispose dans au moins trois domaines :

-          celui de la production (capacité à déterminer l’organisation du travail) ;

-          celui des orientations (capacité à imposer des choix de société) ;

-          celui de l’accumulation (capacité à dominer le mode de partage des richesses) ;

 

Les conflits mettent aux prises une classe dominante et des classes dominés. La classe dominante contrôle les grands appareils politiques et économiques ; c’est elle qui impulse les grandes orientations en matière de croissance qui sont présentées comme relevant de l’intérêt général mais qui servent en réalité les seuls intérêts de la classe dominante. Les classes dominées qui regroupent tous ceux dont les conditions de travail sont modelées par les choix de la classe dominante, contestent la validité des décisions de la classe dominante au nom de la préservation de leur identité culturelle.

Par ailleurs, A. Touraine propose de s’intéresser davantage aux conflits qui dépassent le monde du travail : lutte des femmes, combat des écologistes, mouvements étudiants, etc.

 

Ces deux approches (celle de Touraine et de Darhendorf) remettent à l’honneur des aspects importants de la théorie marxiste sans pour autant aborder le thème de la «révolution».

 

d)      Les thèses sur les nouveaux conflits.

Le rejet de la notion de classe au profit de celle de strate, ainsi que la thèse de la moyennisation des sociétés remettent en cause l’approche en termes de conflit entre deux classes aux intérêts diamétralement opposés.

Ainsi, la théorie de la lutte des classes est aujourd’hui largement considérée comme périmée. Si beaucoup reconnaissent toutefois que le mouvement ouvrier a été au cœur des luttes et à l’origine des transformations sociales jusqu’aux années 1960, certains insistent sur la « crise d’identité » qui frappe la classe ouvrière depuis une trentaine d’années. Cette crise serait d’abord liée à l’émergence d’une société de plus en plus tertiarisée.

De même, l’institutionnalisation des conflits du travail expliquerait le recul des grands mouvements de luttes ouvrières et la relative « pacification » des relations professionnelles. R. Aron, insiste quant à lui sur l’impossible passage à la conscience révolutionnaire d’un prolétariat de plus en plus « englué dans la culture de masse, diffusée par la radio et la télévision ». Derrière, cette affirmation, R. Aron laisse entendre que le prolétariat aujourd’hui ne saisit pas sa spécificité par rapport aux autres classes et par là même n’a pas conscience d’avoir des intérêts particuliers à défendre dans la mesure où il « participe » comme les autres à la société ; ce qui neutralise toute action collective !

En fait, les combats de classes du passé auraient laissé la place à une multitude de revendications catégorielles (= propres à certaines catégories d’individus) plutôt adressée à l’Etat en tant qu’instance de régulation économique et sociale qu’aux propriétaires du capital.

Ce qui est encore plus significatif des sociétés contemporaines serait l’apparition de nouveaux mouvements sociaux situés en dehors du monde du travail, animés par des acteurs qui ont des revendications : mouvements estudiantins, féministes écologistes, pacifistes, antiracistes, régionalistes, mouvements de consommateur, lutte des minorités ethniques, des homosexuels, des sans-papiers, etc.

 

Ces nouveaux mouvements sociaux résultent de l’émergence de nouvelles couches sociales, de la « moyennisation » de la société et d’un changement du système de valeurs.

Ils sont caractéristiques d'une société post-industrielle et sont le signe que l’individu, acteur, peut encourager le changement social sans pour autant que cela passe par une révolution.

D’ailleurs, le changement social est-il d'ailleurs toujours la motivation de ces nouveaux mouvements sociaux ?

Qu'il s'agisse des mouvements étudiants et lycéens des années 1980 et 1990, des actions contre les transformations du système éducatif ou du « grand refus » du secteur public contre le plan de réformes de la protection sociale en décembre 1995, il semble que la « société civile » soit davantage préoccupée de maintenir les acquis et de résister aux projets politiques qui porteraient atteinte aux conquêtes sociales d'après-guerre, que de révolutionner le système productif en place.

 

e)      D’autres critiques… plutôt méthodologiques.

- Tout d’abord, il existe chez Marx différentes typologies des classes sociales (voir les classes fondamentales et les classes non fondamentales). N’est-ce pas la preuve que la notion de classe est une construction intellectuelle du sociologue pour permettre de faire une démonstration, et non des acteurs historiques concrets. Si les classes existaient « réellement », il devrait être facile de les distinguer, de les comparer. De plus, on n’a jamais vu dans l’histoire une classe entière se mobiliser ?

 

- Raymond Boudon s’oppose à l’approche holiste de Marx selon laquelle l’individu n’est que l’expression d’un tout qui s’impose à lui. Pour lui, la société est un « marché » sur lequel les individus « acteurs » comparent en permanence les « coûts » et les « avantages » de leurs actions. Les individus sont donc rationnels et calculateurs dans leurs actions. Une telle approche se réclame de l’individualisme méthodologique. Partant de ce constat, Olson, en s’inspirant de la théorie néoclassique, montre que, ni le bourgeois, ni le travailleur, n‘accepteront les sacrifices de l’action collective, sachant que, de toute façon, ils bénéficieront de cette action, qu’ils y aient ou non participé. Alors que Marx, insiste davantage sur l’intérêt collectif comme moteur de l’action, Boudon et Olson partent plutôt du principe que l’intérêt collectif est le mieux réalisé par la libre confrontation des intérêts individuels.

f)       Une nouvelle actualité pour Marx.

L’évolution récente des économies et des sociétés soulève de nouvelles interrogations.

Que dire en effet de la remise en cause des acquis sociaux, de la montée du chômage et de la précarisation de l'emploi ?

Une « reprolétarisation » n'est-elle pas en train de s'instaurer dans les sociétés occidentales ? Que dire aussi de l'ascension des cadres et des « intellectuels » ?

La montée en puissance de la compétence technique et du savoir comme « forces productives » peuvent-elles permettre d'envisager le développement d'un antagonisme entre les classes fortement dotées en « capital économique » et celles riches de « capital culturel » ?

Que penser enfin de la mondialisation de la production et de la globalisation financière ?

Ne constituent-elles pas à la fois l'instrument de libération du capitalisme vis-à-vis des « rigidités » des contrôles étatiques et les conditions d'une nouvelle mise en concurrence des travailleurs à l'échelle mondiale ?

Le capitalisme planétaire d'aujourd'hui ne doit-il pas être interprété dans les mêmes termes que les capitalismes nationaux de l'époque de Marx ? Les prolétaires du monde entier s'uniront-ils ?

 

Autant de questions auxquelles le XXIe siècle ne pourra échapper et qui paraissent constituer d'ores et déjà les conditions d'une nouvelle actualité de Marx.

 

-          Une nouvelle tendance à la bipolarisation dans les pays développés

On ne peut nier, pour ce qui concerne les pays développés, la considérable amélioration du niveau de vie et des conditions de travail de la grande masse des travailleurs, ni la montée rapide d'un nouveau salariat de cadres, d'intellectuels et d'employés au cours des décennies qui ont suivi la guerre. C'est sur ce constat, on l'a vu, que se sont développées les thèses sur l'« embourgeoisement » de la classe ouvrière et sur la « moyennisation » de la société. Mais on n'a pas encore pris la mesure, de la rupture qui s'est produite entre la fin des années 1970 et le début des années 1980.

En effet, l'image d'une société « moyennisée », «homogénéisée » et consensuelle que trente années exceptionnelles de croissance et de plein emploi a pu faire émerger, semble bien s'être effacée au cours du dernier quart de siècle.

La vague libérale des années 1980 et la remise en cause des acquis sociaux qui en fut le résultat ont abouti au retour de « l'armée de réserve » (=chômeurs), à la précarisation de l'emploi, et à la paupérisation de nombreux travailleurs. Qu'on songe que, pour la première fois depuis la guerre, les jeunes d'aujourd'hui ont un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents lorsque ces derniers avaient leur âge. On assiste en effet depuis le milieu des années 80 à un partage des richesses très favorable au capital et très défavorable au travail. Les salariés sont victimes de la rigueur salariale et nombreux sont ceux qui subissent de nouvelles formes d’exploitation (code du travail violé, heures supplémentaires non payées, travail à temps partiel subi, …) car le rapport de force pèse en faveur du patronat à cause de la peur du chômage !

 

Ne pourrait-on pas, la lumière du marxisme, interpréter une telle évolution ?

Allons plus loin. Survient la crise ! La « loi de la baisse tendancielle des taux de profit » se confirmait sous nos yeux et allait signer « l'arrêt de mort » du capitalisme. Las ! Après dix ans de chute, les taux de profit sont remontés à leur niveau des années 1960.

Finie la crise du capitalisme ! Il ne reste que la crise sociale : le chômage, l'exclusion, l'emploi précaire, la paupérisation, autrement dit... le visage « normal » du capitalisme que l'intermède des « Trente Glorieuses » avait fait oublier.

Fini le consensus, finies l'uniformisation et la « moyennisation ». Si le nombre d'ouvriers continue de décroître, le nombre d'employés se gonfle en même temps que leur niveau de vie et leurs conditions de travail se rapprochent de celles des ouvriers. Ne peut-on pas considérer que se rejoignent alors le monde des ouvriers, des employés et une partie des professions intermédiaires à travers une communauté de situation ?!!

 

-          Une nouvelle classe sociale et de nouveaux enjeux de lutte ?

Le développement des fonctions d’encadrement, d’ingénierie, de recherche scientifique et de transmission des connaissances entraîne un clivage de plus en plus net au sein même du salariat. Une couche supérieure, forte des ses compétences en matière de gestion, de maîtrise technique et  scientifique semble, par le pouvoir de décision et le pouvoir culturel qu’elle exerce sur le reste de la population, se rapprocher de la bourgeoisie capitaliste.

Ce salariat d’élite forme-t-il une classe sociale à part entière au sens de Marx ?

Selon Marx, c’est la place occupée dans le processus productif et le rapport aux moyens de production qui permettent de distinguer les différentes classes sociales. Or, le savoir devient aujourd’hui un « moyen de production » à part entière.

A l’invite de Pierre Bourdieu, on peut se demander s’il ne serait pas possible d’élargir la notion de

«capital économique » à celle de « capital culturel » ?

Ce sociologue refuse de considérer que les classes sociales ont une existence réelle mais il montre que l’on peut différencier des catégories d’individus en fonction du capital économique, culturel… et social dont elles disposent !

Ainsi, il permet aux concepts marxistes d’aider à mieux comprendre les clivages sociaux qui existent au cœur des sociétés contemporaines et qui seraient éventuellement à l’origine d’antagonismes !

Ce faisant Pierre Bourdieu conserve une approche en termes de domination, mais nous amène à nous demander si les masses dominées ne le seraient pas aujourd’hui doublement : économiquement et culturellement ?!

Cette interrogation revêt toute son importance si l’on considère l’ampleur prise par un autre phénomène qui s’opère sous nos yeux : la mondialisation !

 

Quelles ruptures et quels conflits sociaux nous prépare-t-elle ?

 

-          La mondialisation et l’émergence d’un nouveau capitalisme à l’échelle planétaire ?!

Moins de vingt ans ont suffi pour que le cadre dans lequel s'inséraient les rapports sociaux passe du niveau national au niveau mondial.

Certes, l'expansion mondiale du capitalisme ne date pas d'aujourd'hui. Les compagnies commerciales de la période mercantiliste pratiquaient déjà le « commerce lointain », les conquêtes coloniales avaient assuré aux industriels et aux financiers des zones d'exploitation élargies, les multinationales avaient depuis le début du XXe siècle, et surtout à partir des années 1950 « extériorisé » leurs capitaux aux quatre coins de la planète, les échanges internationaux n'ont cessé de prendre de l'ampleur. Mais jusqu'alors, la nation restait la base de départ de l'expansion extérieure des échanges et des capitaux. Les Etats nationaux conservaient le contrôle - en les freinant ou en les favorisant – des phénomènes d'internationalisation.

Ce qui se passe depuis les années 1980 est d'une autre nature.

L'Union européenne en est un modèle. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un marché unique des biens et services et des capitaux et une monnaie unique s'instaurent dans un espace géographique sans qu'une autorité politique établisse sa souveraineté sur cet espace. Au niveau mondial, le libre-échange avance à pas de géants et la libre circulation des capitaux est quasiment chose faite.

D'énormes masses de capitaux se déplacent dorénavant à la vitesse des réseaux électroniques vers les zones de basse pression sociale (peu ou pas de protection sociale, législation du travail absente ou quasi-inexistante, main d’oeuvre bon marché et peu revendicative, etc.) contribuant à unifier bientôt les conditions d'exploitation et à égaliser les taux de profit à travers le monde.

 

Combien de temps, en effet, les législations sociales européennes résisteront-elles à cette offensive ?

L’analyse marxiste permet de comprendre les causes de ce phénomène. La remontée de la rentabilité du capital dans les années 1980 avait pourtant semblé infirmer les prévisions de Marx sur la « chute tendancielle des taux de profit ». Toutefois, tant qu'il existe des moyens d'accroître le « taux de plus-value » ou « d'exploitation » des travailleurs, la chute des taux de profit ne sera pas effective.

Ainsi est-ce par de larges coupes sombres dans le droit du travail et la protection sociale que la  bourgeoisie capitaliste a pu, à partir des années 1980, puiser à nouveau dans les « réserves » de plus-value pour faire remonter la rentabilité du capital.

 

Mais comment la classe dominante a-t-elle pu faire sauter si facilement les verrous institutionnels (= droits du travail, régimes de protection sociale progressivement mis en place par les Etats-Providence) qui bloquaient l'accroissement du taux de plus-value ?

Les défaites politiques de la classe ouvrière qu'ont été le reaganisme et le thatchérisme ont  largement brisé les « rigidités » qui pesaient sur le marché du travail dans l'espace anglo-saxon. Mais c'est avec la mondialisation de la production et la globalisation financière que le capitalisme a trouvé une issue à l'aggravation de ses contradictions internes et à la chute du taux de profit.

L'histoire du capitalisme a été marquée depuis toujours par cette exigence d'extension spatiale des marchés et d'autonomisation par rapport aux particularismes et aux systèmes institutionnels de protection locaux. C'est ainsi que deux siècles auparavant, la bourgeoisie industrielle s'est définitivement imposée à l'aristocratie foncière et aux monopoles commerciaux en faisant sauter les barrières provinciales et les protections sociales régionales et corporatistes et en créant de vastes marchés nationaux unifiés pour les produits et pour la force de travail. Le « marché autorégulateur » s'est imposé dans le cadre des Etats-nations.

La mondialisation à laquelle nous assistons aujourd'hui n'est autre que la même manifestation d'un capitalisme en expansion permanente (= Marx parle d’impérialisme), « asphyxié » dans l'espace national par des institutions politiques de plus en plus garantes du progrès social et qui, par là même, bloquent les possibilités d’élever le taux de plus-value.

La rupture des frontières nationales et la libéralisation vis-à-vis des contrôles étatiques n'ont pas seulement offert au capital de nouveaux espaces de marché et d'exploitation de la force de travail, elles ont rétabli les conditions d'une nouvelle mise en concurrence des travailleurs, de la réapparition d'une « armée de réserve » à l'échelle mondiale et du retour de la « loi d'airain » des salaires.

Une formation sociale mondiale semblable aux capitalismes nationaux du XIXe siècle se constitue. Avec la libre circulation des marchandises et des capitaux, avec les réseaux financiers interconnectés, s'amorce une bipolarisation sociale planétaire. À l'égalisation des taux de profit à l'échelle mondiale, correspondra l'égalisation des taux d'exploitation de la force de travail.

Les masses surexploitées du tiers monde qui connaissent déjà les conditions qu'ont connues les prolétaires européens du XIXe siècle, pourraient bien alors, avec les travailleurs « flexibilisés » des pays développés, constituer l'équivalent mondial de ce qu'ont été les prolétariats nationaux au siècle précédent : une classe ouvrière en soi... en attendant, là encore, la conscience (planétaire) de classe.

 

 
   
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